Dominique Goblet et Nikita Fossoul (L’Association, 2010) – 560 pages – 256 X 196 mm – quadrichromie – 9782844143877
Chronographie est le produit d’un dispositif programmatique : Dominique Goblet invite un jour sa fille, Nikita Fossoul, à faire le portrait l’une de l’autre et lui propose de reproduire l’exercice de façon régulière, comme un rituel, pendant dix ans. Les deux artistes tiendront leur promesse : Nikita a 7 ans quand commence l’expérience, en 1998. Elle en a 17 quand s’achève le projet. Dominique Goblet a toujours inclus dans son graphisme, à la fois une grande maîtrise, mais aussi des influences de ce qu’on appelle l’Art Brut, de l’Expressionnisme, voire de l’Art naïf. Dans le dispositif mis en place, le dessin de Nikita Fossoul évolue avec l’âge et gagne en maturité, et subit immanquablement l’influence de sa mère (elles partagent aussi les mêmes outils), tandis que Goblet multiplie différents degrés de stylisation, de sorte qu’à certains moments, une indistinction s’installe entre les deux auteurs, dont les univers finissent par se croiser, mettant à mal les frontière entre pratique amateure, en apprentissage, et le statut de dessinateurice accompli.e, ainsi que le rapport artiste/modèle (voire le rapport mère/fille, puisqu’on imagine bien que l’exercice a été, d’une certaine manière, imposé à une enfant, devenue adolescente, qui a pu parfois trouver cet exercice contraignant); toutes ces catégories sociales sont bien identifiées dans l’imaginaire culturel occidental. Évidemment, l’utilisation d’outils picturaux et l’utilisation du dispositif historique du modèle devant l’artiste tendrait à considérer que les autrices se placent sous la seule égide de la peinture et qu’une exposition en galerie aurait suffi à rendre compte de l’expérience. Ce serait en plus une tentative de convoquer la peinture, art adoubé, pour cautionner une discipline minorisée comme la bande dessinée. Tentative vaine, il est préférable de trouver dans la bande dessinée ce qui produira un discours remarquable. Mais le terme bande dessinée se prête totalement à cette entreprise qu’est Chronographie, tant les 273 dessins narrent la transformation des êtres (la croissance, l’âge, la maturation du dessin, le va-et-vient entre deux visages nécessairement ressemblants). La forme livre est déterminante pour appréhender la démarche des deux autrices : chaque double page affiche en vis-à-vis les modèles dessinés simultanément. Pendant longtemps, la bande dessinée pour enfant mettait en scène des héros éternels qui traversaient les époques sans prendre une ride (Bécassine, Tintin, les Peanuts…) Il a fallu attendre Blueberry pour voir un personnage évoluer normalement. Depuis les années septante, c’est monnaie courante (Alack Sinner, Harvey Pekar, L’ascension du Haut Mal). Dans Chronographie, la seule trame de l’évolution du dessin de Fossoul est émouvante en soi. Et la seule trame d’une enfant qui grandit n’en est pas moins émouvante. Le croisement des deux en fait des récits passionnants.
Dominique Goblet, née le 8 juillet 1967 à Bruxelles est une illustratrice belge, auteure de bande dessinée. Elle a étudié l’illustration à l’Institut St-Luc.