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ASTRO BOY TOME 6

La 5e Couche (2021) – 240 pages – 148 X 210 mm – noir & blanc – 9782390080619

Astroboy est ce qu’il est communément appelé dans le champ des arts plastiques un ready-made dont le seul changement par rapport à l’original, édité par Kana, est qu’il coûte le double de son prix. Une étiquette aux accents marxistes (avec le nouveau prix) justifie cette augmentation.
Astro Boy #6 est en tous points identique à Astro Boy #6, tel qu’il a été édité par Kana, en 2012. Identique et absolument différent, amplifié, magnifié, révélé par l’étiquette qui en revêt le dos.
Astro boy, le petit robot est un shōnen manga d’Osamu Tezuka, publié entre 1952 et 1968. Cette série de science-fiction se déroule dans un monde futuriste où robots et humains coexistent. Elle est basée sur les aventures d’Astro Boy (souvent nommé simplement Astro), un puissant robot créé par le chef du Ministère de la Science, Dr Tenma, pour remplacer son fils Tobio, mort dans un accident.
Dr Tenma construit Astro à l’identique de Tobio et l’élève comme il l’aurait fait de son propre fils. Il réalise bientôt que le robot ne peut combler le vide laissé par son fils, Astro ne pouvant exprimer les traits de caractère ni vieillir comme le fait tout humain.
Refaire, à un détail près, un livre à l’identique, dans le respect de la charte d’Essaim, pour en modifier, corriger ou raviver la réception et la signification, n’est pas sans évoquer la nouvelle de Borges, Pierre Ménard, auteur du Quichotte (parue dans les recueils Le Jardin des sentiers qui bifurquent et Fictions), qui décrit la vie et l’œuvre de l’écrivain imaginaire Pierre Ménard. Il y détaille son invraisemblable projet: réécrire, pour l’actualiser, le premier livre du Quichotte. Au bout d’une vie d’effort, parvenant à cette nouvelle forme contemporaine et parfaite, il a reproduit l’œuvre de Cervantès à l’identique, dans l’espagnol archaïque du XVe siècle.
Borges justifie ce travail et démontre que le résultat de Ménard est supérieur à l’original: si Cervantès écrivit banalement dans l’espagnol de son temps, Ménard s’est livré à une création linguistique analogue à celle de ces romans historiques du XIXe, qui présentent deux passages identiques que le contexte de leur écriture rend pourtant opposés.
La collection Essaim rassemble des créations issues de détournements, respectant strictement une charte exigeant qu’une modification, une seule, soit opérée sur l’ensemble d’une œuvre qui en modifie, corrige ou ravive la réception et la signification.
La subversion décrite par Karl Marx dans Le Capital, par laquelle la séquence « la marchandise est échangée contre de l’argent qui permet d’acquérir d’autres marchandises » devient « l’argent est échangé contre de la marchandise qui permet de faire plus d’argent »: Marchandise>Argent>Marchandise (M>A>M) devient A>M>A’, permettant l’accumulation de capital par l’exploitation de la valeur travail, puis simplement A>A’, avec la financiarisation de l’économie, trouve ici son expression artistique contemporaine: M>A>A’>A »…, ad libitum, ou encore A>A>A’>A »… où le premier A est celui d’Astro Boy.
Son prix, doublé, devient performatif : c’est son statut de marchandise qui est ironiquement souligné ici.
Le livre est sorti en même temps que la déclinaison qu’en a fait Corentin Garrido.