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LA MARQUE JAUNE

(La 5e Couche, 2022) – 120 pages – 135 x 185 mm – Noir & Blanc – 9782390080831

Les murs de la City ne résonnent plus que des incroyables exploits de la « Marque Jaune ». Ce mystérieux criminel multiplie les actions spectaculaires : raid contre la banque d’Angleterre, vol du Gainsborough de la National Gallery, et même vol de la couronne royale d’Angleterre… Rien ne semble pouvoir l’arrêter. Son audace va jusqu’à prévenir à l’avance la police du lieu de l’accomplissement de ses forfaits, ridiculisant à chaque fois un peu plus Scotland Yard. L’apparente facilité avec laquelle il se déjoue des dispositifs policiers finit par inquiéter les plus hautes instances du pays. Le capitaine Francis Blake est dépêché par le Home Office auprès de Scotland Yard pour élucider l’affaire et découvrir l’identité de l’homme qui se cache derrière la Marque Jaune. Le capitaine s’adjoint tout de suite les services de son vieil ami, le professeur Philip Mortimer, dont les connaissances scientifiques s’avéreront précieuses dans cette affaire extrêmement complexe.
Avant d’entamer son découpage, Jacobs rédigeait son scénario sous la forme d’un texte aux allures littéraires… D’emblée, ce texte faisait ressortir la redondance entre les dialogues et la description des actions. À l’arrivée, une bonne partie de ce texte était conservée dans les récitatifs. Peut-être tenait-il à démontrer son habileté littéraire (qui est réelle, même s’il n’innove pas) et avait-il du mal à couper dans son texte. Mais, en plus, comme l’homme est profondément angoissé à l’idée que le lecteur ne passe à côté de l’histoire, il redoublait les informations dans la mise en scène et dans la mise en image. C’est dire le peu de confiance que Jacobs accordait à l’intelligence du jeune lecteur, le peu de confiance qu’il accordait à l’efficience de sa propre discipline, la bande dessinée. À moins qu’il ne s’adressât au non-lecteur de bande dessinée, aux anicorètes, sachant que la lecture d’une bande dessinée est un processus complexe et exige une compétence spécifique.
“La Marque Jaune”, dans sa version littéraire, ne retenant que les récitatifs et les dialogues, sous-titrée Roman, est un livre non lu. Non lu à double titre, parce qu’on ne lira pas ce texte : on préfèrera la bande dessinée et ses images, mais, quand on lira la bande dessinée, on se passera de lire les récitatifs redondants, et parfois même, les dialogues inutilement longs et explicatifs. De sorte qu’au final, la retranscription systématique de ces textes relève d’un geste absurde, en fait une performance poétique.
Autre dimension, plus ironique, que souligne cette entreprise d’adaptation : en singeant les couvertures d’une prestigieuse maison d’édition littéraire, La Marque Jaune, dans sa version romanesque, fait écho à ces affligeantes tentatives de légitimation de la bande dessinée, comme c’est le cas, avec l’expression Roman graphique (mais ne soyons pas trop injustes avec ceux qui, depuis les années 60 jusque dans les années 90, ont œuvré à la légitimation de cette discipline. Disons que, lorsqu’il s’agit de courir après les formes achevées, voire bourgeoises et fétichistes, des autres disciplines déjà adoubées (littérature, peinture, cinéma…) plutôt que de mettre en avant les qualités-même de la bande dessinée, ça prend une tournure pathétique). Cette transposition interroge le rapport complexé d’une certaine bande dessinée à la littérature.