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TNT EN AMÉRIQUE

Jochen Gerner (L’Ampoule, 2002) – 66 pages – 223 X 295 mm – quadrichromie – 9782848040004

« L’intérêt principal pour moi de la bande dessinée est l’infinité des liens possibles entre le texte et l’image : un système de représentation confrontant continuellement, dans une sorte d’alchimie, texte et image. C’est le domaine que je m’efforce d’explorer seul ou avec OuBaPo (Ouvroir de Bande dessinée Potentielle*). L’idée de TNT en Amérique est née de ces propos avec OuBaPo, d’exercices, d’expérimentations. J’essaie de trouver de nouvelles perspectives de lecture. Je démonte un matériau donné pour en faire autre chose. En analysant la bande dessinée Tintin en Amérique d’Hergé, je me suis rendu compte de l’incident récurrent de chute (de corps) dans ce livre. Je voulais comprendre d’où venait ce vertige permanent. Début 2001, j’ai commencé à comprendre cette violence (violence toujours adoucie et banalisée grâce au trait clair du dessin : se faire frapper est bien plus violent que ce qui est montré dans ce genre de livre) et j’ai décidé que ce serait l’occasion de faire un exercice « oubapien » avec tout le livre. Par conséquent, tout cela n’était qu’une expérience personnelle au début. J’ai d’abord analysé et décortiqué le texte dans les ballons d’Hergé. Puis j’ai gardé les mots pour leur sens (en relation avec la violence et les thèmes symboliques de la société américaine) et leurs qualités musicales. J’ai dressé des listes. J’ai essayé d’élaborer des thématiques en fonction des pages. À cette époque, j’ai commencé à noircir les dessins d’Hergé en ne laissant sortir que les mots que je jugeais importants. Plus tard, j’ai trouvé la solution graphique en éclairant ce noir d’« ouvertures » sur la couleur, tout en complétant le texte par des images. Le noir est alors devenu nuit puisque toutes ces taches colorées (signes, pictogrammes, symboles simples) sont devenues de petites lumières urbaines, des néons pop vacillant dans l’obscurité violente de la ville américaine. Une sorte de ville tentaculaire regardée de nuit depuis le ciel ou un promontoire (scène récurrente dans les films américains). Noir en référence à la censure, à la nuit, aux ténèbres (le mal), au mystère des choses inachevées. Sur un fond noir dense, des vignettes de couleur claire racontent une histoire de violence américaine à travers leur séquence et leur insistance : j’évoque ce phénomène ainsi que les notions de bruits, de mouvements, d’argent, de religion, de Bien et de Mal qui y sont liés (le premier mouvement enseigne au néon aux États-Unis a été utilisée pour annoncer une condamnation à mort). Cette nuit est une « nuit américaine » : un filtre sur une image prise en plein jour pour donner l’illusion de la nuit. L’esprit du lecteur (qui aurait dû lire Tintin en Amérique au préalable) doit pouvoir aller de l’œuvre sous-jacente d’Hergé à mes indications graphiques et inversement. Cette intervention graphique traite autant de l’Amérique à travers une bande dessinée d’Hergé, que du travail d’Hergé à travers les thèmes de l’Amérique. Pour ces deux univers, la ligne lumineuse d’Hergé et la société américaine peuvent être appréhendées de la même manière : deux mondes en apparence riches, beaux, lisses, mais radicalement sombres et violents. J’ai donc pu, grâce au recadrage, au masquage, utiliser un matériau donné afin d’examiner son contenu inexploité ainsi que ses zones obscures. D’un point de vue technique, j’ai acheté (dans des boutiques spécialisées en éditions anciennes) d’anciens exemplaires de Tintin en Amérique. J’ai donc travaillé directement sur les éditions imprimées en découpant les pages une à une et en les recouvrant d’une épaisse couche d’encre noire. Les éléments de l’œuvre originale n’apparaissaient pas. (…) Le livre a été logiquement fait en suivant le concept de dissimulation à fond. Chaque mot à sa place d’origine, chaque page à sa place dans le livre. L’adresse de l’éditeur et le colophon ont été mis aux mêmes endroits. Les pages de garde et le dos toilé renvoient aux éditions originales d’Hergé. (…) Enfin, ce livre n’a pas été fait contre Tintin ou pour Tintin mais sur Tintin. Un travail sur et autour de la bande dessinée» (déclaration de l’auteur).

Jochen Gerner, né le 12 septembre 1970 à Nancy, est un auteur de bande dessinée français. Il aime expérimenter, mettre en œuvre une critique du langage et de l’image tout en détournant les codes visuels.