UN CADEAU

Pour pouvoir lire ce récit de la dissection d’un cadavre, le lecteur doit lui-même disséquer le livre : pour accéder aux pages successives, il déchire chaque page selon des volets prédécoupés, détruisant ainsi le livre au fur et à mesure et transformant la lecture, unique, en véritable happening. Ce livre facétieux met à mal la tendance fétichiste des collectionneurs de bande dessinée bibliophiles à l’égard de leur objet de prédilection. Cette manipulation destructive trouve un écho narratif très fruste et très premier degré dans l’articulation objet/récit, et probablement déceptif pour de nombreux lecteurs, dans la mesure où le livre dévoile un simple gag digne d’un daily strip. Mais ça en amusera certainement plus d’un.
Ce n’est pas le premier exemple de publication qui se propose d’être abîmé pour se révéler. Disons qu’ici, Ruppert et Mulot proposent une version radicale de ce qui se faisait auparavant, et donc, dans une moindre mesure, le Journal de Mickey proposait déjà des parties à découper et à remonter dans le magazine. Spirou aussi, avec ses mini-récits, invention du rédacteur en chef Yvan Delporte, dont le premier, Les schtroumpfs noirs, dans le numéro 1107 du 2 juillet 1959 (spécial Vacances), qu’il faut détacher, assembler et découper selon un mode d’emploi plutôt tarabiscoté. Pif Gadget à sa suite proposera de tels découpages. Le trou d’obus, de Tardi, paru en 1984 à l’Imagerie Pellerin (Images d’Epinal), proposait quatre planches à découper intégrées dans l’album pour recréer et visualiser, dans un théâtre de papier en relief, l’horreur d’une belle boucherie. Ce type de montage à découper est aussi présent dans les pages de la Acme novelty library de Chris Ware. La seule différence avec la proposition du duo français, c’est que ces découpages proposent de reconstituer autre chose, là où Un cadeau ne nous laisse qu’avec un piteux fouillis de languettes. Ceci dit, pour être tout-à-fait précis, la destruction du livre demeure une vue de l’esprit dans la mesure où le lecteur précautionneux aura déchiqueté soigneusement ces languettes de façon à pouvoir les replier dans l’ordre inverse et refermer le livre.

Florent Ruppert, né en 1979, et Jérôme Mulot, né en 1981, sont des auteurs de bande dessinée français qui travaillent en binôme. Jérôme Mulot et Florent Ruppert se sont rencontrés à l’École nationale supérieure d’art de Dijon.