
Ilan Manouach (La 5e Couche, 2026) – 160 x 270 mm – 448 pages – Quadrichromie – 9782390081241
Voici l’argumentaire sur le site de l’éditeur :
« Ce projet soumet Watchmen d’Alan Moore et Dave Gibbons à un processus de désagrégation computationnelle systématique : un algorithme de vision par ordinateur segmente chaque case en fragments selon des critères purement visuels – cohérence chromatique, densité de lignes, géométrie des formes – puis réassemble ces morceaux de manière aléatoire à l’intérieur des cadres originaux des vignettes. Cette décomposition computationnelle de Watchmen constitue bien plus qu’un geste iconoclaste : elle expose les infrastructures visuelles qui précèdent – et excèdent – la narration. En forçant la bande dessinée la plus architecturalement sophistiquée du canon à se soumettre à une lecture machiné-visuelle, le projet révèle que le sens en bande dessinée n’est jamais univoque : des densités de noir et blanc, des rythmes de lignes, des équilibres compositionnels qui opèrent selon leurs propres logiques, indifférentes aux intentions dramatiques des auteurs. »
En vérité, il faut relativiser l’expression « indifférentes aux intentions dramatiques » dans la mesure où la dimension visuelle a été exceptionnellement et consciemment prise en compte par les auteurs : dans le livre de Chip Kidd et Dave Gibbons, Watching the Watchmen : the definitive companion to the ultimate graphic novel, Gibbons met à jour ses archives et la genèse du comic book, dévoilant ainsi une préparation très minutieuse de la composition des cases, de la mise en page, de la grille, de la structure de chaque épisode, de l’articulation des images avec les intentions narratives. Le coloriste de la série, John Higgins, met en lumière, à travers des guides couleur préalablement établis, l’approche structurante de la couleur pour servir au mieux la progression dramatique et associer des gammes chromatiques précises aux arcs narratifs des personnages. La plupart du temps, la page est une unité narrative en soi. D’autres fois, les trames s’alternent très strictement sur les doubles pages, jusqu’à ce chapitre, Terrible symétrie (Fearful symmetry) entièrement symétrique, autant dans la narration que graphiquement. Dès lors que la dimension visuelle épouse la narration, elle est mêmement structurée géométriquement. Ce qui est intéressant dans la démarche des auteurs originaux, c’est qu’au final, le choix de travailler avec un auteur extrêmement classique graphiquement et le choix d’opter pour les couleurs criardes traditionnelles du comic book (dont Watchmen est aussi une critique idéologique) servent une démarche foncièrement inscrite dans la modernité.
Le détournement de Manouach n’est donc pas fondamentalement éloigné du projet initial des auteurs sur le plan visuel, à l’exception du fait que la narration, si bien servie, dans le livre original, par le travail graphique, est, ici, évacuée.
Ilan Manouach est un auteur de bande dessinée conceptuelle, chercheur invité au Metalab (Harvard) et postdoctorant du F.R.S.–FNRS à l’Université de Liège. Docteur de l’Université Aalto, il étudie l’impact des technologies avancées et de la mondialisation sur l’industrie de la BD. Il est notamment l’auteur de Shapereader, un système narratif tactile pour personnes malvoyantes. Il a fondé Echo Chamber, consacré aux pratiques radicales en BD, et dirige Futures of Comics, un programme international sur les transformations du secteur. Avec Kenneth Goldsmith, il a codirigé le festival Shadow Libraries, et il est conservateur des collections de Conceptual Comics pour Ubuweb et Monoskop.